Editorial du Monde du 16 février.

 

Indulgence gazière

 

Le Turkmenbachi est mort, vive le Turkmenbachi ! Avec un score « soviétique » – 89 % des voix –, Gourbangouly Berdymoukhamedov a été proclamé, mercredi 14 février, président du Turkménistan, en remplacement de Saparmourat Niazov, mort d’une crise cardiaque en décembre 2006, qui s’était fait proclamer « Grand Turkmenbachi », père de tous les Turkmènes. Cette ancienne république de l’URSS de 5 millions d’habitants, coincée en Asie centrale entre l’Iran, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan, est un des pays les plus fermés du monde. Niazov y régnait en maître absolu, dépensant les ressources tirées du gaz naturel pour ériger de gigantesques statues en or de sa noble personne, alors que la population doit vivre avec un peu plus d’un dollar par jour.

Comme il se doit dans les dictatures, le nouveau président a promis de poursuivre l’oeuvre de son « génial » prédécesseur, tout en laissant entendre qu’il pourrait revenir sur quelques-unes de ses mesures les plus extravagantes et les plus impopulaires. Niazov avait, par exemple, fermé tous les hôpitaux en dehors de la capitale, Achkhabad, licencié 15 000 médecins et réduit les crédits à l’éducation. Les rares observateurs étrangers présents au Turkménistan ont constaté que l’élection présidentielle n’était ni libre ni honnête. Si, pour la première fois, il y avait plusieurs candidats, tous appartenaient au parti unique, et cinq sur six avaient été priés de faire de la figuration. Cette situation, peu conforme à la démocratie en marche chère au président George W. Bush, n’a pas empêché les Etats-Unis d’être représentés par le secrétaire d’Etat adjoint Robert Boucher à la cérémonie d’investiture de M. Berdymoukhamenov. Il est vrai que le Turkménistan possède les cinquièmes réserves de gaz du monde. La plus grande partie de la production est actuellement exportée via la Russie, qui achète le gaz turkmène à des tarifs privilégiés pour le revendre au prix du marché mondial, mais les Occidentaux ne désespèrent pas de construire un gazoduc qui, à travers la mer Caspienne, évitera la Russie. La libre utilisation du réseau Gazprom par les différents pays producteurs est un sujet de litige entre les Occidentaux et les Russes. Le premier ministre russe, Mikhaïl Fradkov, et le vice-président de Gazprom, Alexei Miller, étaient également présents à Achkhabad pour souligner l’importance politico-économique que Moscou attache aux relations avec le Turkménistan et à la pérennité des contrats. Comme dans les autres anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, sa situation stratégique aux confins de l’Afghanistan et ses ressources énergétiques mettent le pays à l’abri d’un regard trop critique de la communauté internationale.